Dévoreur de pellicule monomaniaque, ce blog servira à commenter pour ceux que cela intéresse tout mes visionnages de classiques, coup de coeur et curiosités. Je vais tenter le défi de la chronique journalière histoire de justifier le titre du blog donc chaque jour nouveau film et nouveau topo plus ou moins long selon l'inspiration. Bonne lecture et plein de découvertes j'espère! Vous pouvez me contacter à justinkwedi@gmail.com, sur twitter et instagram

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samedi 15 mars 2025

Un nommé la Rocca - José Giovanni (1961)

Pour aider un ami accusé à tort d'un crime et condamné aux travaux forcés, un homme pénètre la pègre de Marseille. Il devient vite un redoutable caïd.

Assistant-réalisateur sur tous les films de son père Jean Becker à partir de Touchez pas au grisbi (1954), Jean Becker va à son tour passer à la mise en scène avec Un nommé La Rocca. Il y retrouve d’ailleurs un fameux collaborateur de l’ultime chef d’œuvre de Jacques Becker, Le Trou (1960), avec José Giovanni. Criminel endurci et repenti ayant trouvé la rédemption dans l’écriture, Giovanni deviendra le fer de lance du polar français à travers sa participation à plusieurs grandes réussites des années 60, adaptées de ses romans et/ou scénarisé par lui, et inspiré plus ou moins directement de sa véritable expérience de malfrat. Le Trou, Classe tous risques de Claude Sautet (1960), Le Deuxième Souffle (1966) et Le Clan des Siciliens (1969) de Jean-Pierre Melville, ainsi que ses propres réalisations comme Dernier domicile connu (1970) et Deux Hommes dans la ville (1973) imposent ainsi son cinéma d’hommes, entre ode à la seconde chance et fatalité du film noir.

Jean Becker adapte ici le roman L'Excommunié publié en 1958. On retrouve là toute la charpente des récits de Giovanni et ses récits d’amitiés viriles et tragiques, mais il manque un petit quelque chose au film de Becker pour se hisser à la hauteur des meilleures adaptations de l’auteur. On a davantage l’impression d’assister à des blocs de récits chacun représentatif du corpus de Giovanni plutôt qu’une histoire à l’unicité se suivant de bout en bout. Jean-Paul Belmondo est charismatique à souhait en La Rocca cherchant à tout prix à sauver son ami Adé (Pierre Vaneck), les racines de ce lien indéfectible restent plutôt floues. 

Si cela fonctionne avant que les retrouvailles entres les personnages ait eu lieu, l’alchimie est assez absente une fois que leur chemin se recroise en prison. Les séquences musclées s’enchaînent durant la première partie où La Rocca s’infiltre chez les gangsters, mais l’on cherche vainement où cela va nous mener passées les démonstrations de force affirmant la détermination du héros. Un soupçon de film de gangster donc, puis un zeste de film de prison dans une segment assez fort pris individuellement, mais au sein duquel on cherche encore la cohérence de l’action de La Rocca se faisant emprisonner afin de protéger son ami derrière les barreaux.

Les séquences fonctionnent mais le liant entre elles semblent forcés et malgré une efficacité certaine, on sombre dans une forme de cliché via les différents sous-genres criminels abordés (film de gangsters et de prison). Malgré tout, une séquence d’anthologie s’insère dans cet ensemble durant ce moment où, sous promesses d’écourtement de peine, les prisonniers sont chargés de nettoyer un champ de mines allemand. Cette fois enfin, la tension, l’amitié, le sens du sacrifice et un certain nihilisme fonctionnent dans un sacré moment de cinéma. 

Le talent filmique de Jean Becker n’est vraiment pas à remettre en cause, ni même sa direction d’acteur, mais la narration est pour l’essentiel déficiente et peine à nous captiver sur la longueur. Le réalisateur corrigera le tir sur ses réalisations à venir mais le résultat laissera José Giovanni (ici en charge des dialogues) très insatisfait, au point de signer dix ans plus tard en tant que réalisateur une seconde adaptation de son roman avec La Scoumoune (1972), de nouveau avec Jean-Paul Belmondo dans le même rôle, tandis que Michel Constantin (qui joue un petit rôle de malfrat dans le film de Becker) remplace Pierre Vaneck.

Sorti en dvd zone 2 français chez StudioCanal

mardi 11 mars 2025

La Vénus en fourrure - Le malizie di Venere, Massimo Dallamano (1969)

Séverin, réside dans un hôtel au bord d’un lac pour travailler sur son prochain livre. Arrive alors Wanda, un mannequin au pouvoir de séduction hypnotique. Séverin va d’abord espionner discrètement Wanda, qui aime se promener nue dans son manteau en fourrure. Elle lui rappelle ses premiers émois érotiques de son enfance. Puis il va l’entraîner dans une relation sadomasochiste sulfureuse.

La Vénus en fourrure est une production érotique italo-allemande adaptant le roman éponyme de Leopold von Sacher-Masoch publié en 1870. Le roman était une sorte d’autobiographie romancée de l’auteur qui contribua à démocratiser les fantasmes masochistes – l’invention du terme de cette pathologie étant inspiré, au grand dam de Leopold von Sacher-Masoch par son nom. Malgré les pratiques sulfureuses y étant dépeintes, le roman n’avait rien d’explicitement érotique et constituait davantage un dialogue et une réflexion sur l’application des préceptes masochistes au sein du couple. La libération des mœurs durant les années 60 provoque une sorte d’appel d’air pour une adaptation plus frontale du roman. On n’en dénombre pas moins de trois en cette fin de décennie avec Venus in Furs de Joseph Marzano (1967), Venus in Furs de Jess Franco (1968) et donc La Vénus en fourrure de Massimo Dallamano. Les adaptations ont dans l’ensemble davantage tendance à prendre l’argument initial comme un prétexte pour s’éloigner du roman (notamment la plus récente version de Roman Polanski en 2013, adaptant certes une pièce inspirée du roman), notamment en déplaçant l’intrigue dans un cadre contemporain. Si Massimo Dallamano cède également à cet écueil, sa version reste tout de même largement plus fidèle au matériau d’origine que les autres productions.

Dallamano est initialement est un directeur photo actif depuis la fin des années 40, officiant sur tout le spectre du cinéma italien de son temps et collaborant avec quelques grands réalisateurs en devenir, comme Dino Risi sur L’Homme au cent visages (1960) et surtout Sergio Leone pour les deux premiers volets de la trilogie des dollars, Pour une poignéede dollars (1964) et Et pour quelques dollars de plus (1965). Passé à la réalisation durant la fin des années 60, Dallamano fait déployer une courte (il décède prématurément d’un accident de voiture en 1975) mais passionnante filmographie où son brio formel va lui permettre d’aligner quelques pépites bis dans le giallo (Mais... qu'avez vous fait à Solange ? (1972)) ou le cinéma érotique (Annie ou la Fin de l'innocence (1976)).

Le récit s’amorce par la romance construite sous forme de « contrat » entre Séverin (Régis Vallée) et Wanda (Laura Antonelli). Séverin est un jeune bourgeois pour lequel, depuis un traumatisme d’enfance, l’amour et la volupté se confondent avec la douleur physique et psychique. La rencontre avec Laura ravive ce souvenir d’enfance par le biais du voyeurisme quand il observera les ébats de cette dernière avec un employé par le trou du mur de sa chambre. En séduisant Wanda, il reconnaît en elle son égal et celle qui osera pousser au plus loin ses fantasmes les plus retors. En effet, Laura était consciente d’être observée durant sa coucherie, et assume être incapable d’être assouvie trop longtemps par l’amour d’un seul homme. Dès lors, sur la proposition insistante de Séverin, un jeu de rôle et d’humiliation s’instaure, dont le couple ne ressortira pas indemne.

Le tournage hors d’Italie permet à Massimo Dallamano de dresser un écrin érotique aussi raffiné qu’explicite pour l’époque. Lesbianisme, sadomasochisme, nudité frontale et situations scabreuses en pagaille s’affichent dans un filmage stylisé où jeu d’ombres baroques, cadrages sophistiqués et direction artistique rococo mettent en valeur les corps nus et les poses lascives du casting photogénique en diable. Si la forme est au rendez-vous, Dallamono n’exploite pas pleinement le fond constituant la sève du roman, ce questionnement quant à la démocratisation d’un rapport masochiste au sein du couple, le rapport dominant/dominé ambigu, la notion de contrat sur les écarts jusqu’auquel peut entraîner le fantasme. Il se montre même presque moralisateur en instaurant un rapport de jalousie bien plus terre à terre lorsque Wanda s’amourache d’un mâle caricaturalement viril au détriment de Séverin préférant (pour un temps) observer et souffrir.

Néanmoins, Dallamono se montre assez visionnaire sur l’imaginaire érotique que charrie une Laura Antonelli (ici blonde) et pas encore star. Le fantasme du candaulisme (soit voir sa compagne possédée par d’autres hommes) est un cœur du génial Ma femme est un violon de Pasquale Festa Campanile (1971), dont l’imagerie de BDSM ludique est d’ailleurs reprise par Dallamano puisque la scène où Laura Antonelli chevauche Séverin suit celle celle de L’Amour à cheval (1968) du même Campanile. Laura Antonelli possède cet érotisme ambigu entre la madone et la nymphomane où elle semble subir et savourer les situations scabreuses dans lesquelles le récit la plonge, parfois en même temps – la scène où elle finit en larmes après avoir couché avec le peintre. 

C’est un fil rouge de sa persona filmique dont certains réalisateurs sauront s’emparer avec brio tel le Luigi Comencini de Mon dieu comment suis-je tombée si bas ? (1974). Le revirement « moral » final et antinomique avec le livre renforce cela, la chevelure blonde de l’actrice renforçant pour une fois davantage le côté vamp sulfureuse que madone secrète. La Vénus à la fourrure s’avère en définitive un vrai plaisir esthétique, et malgré ses scories le haut de gamme en termes d’ambition thématique du tout venant du cinéma érotique de l’époque.

Sorti en bluray français chez Artus Films

dimanche 9 mars 2025

Les Maîtresses de Dracula - The Brides of Dracula, Terence Fisher (1960)

Marianne a accepté un poste d'institutrice dans un pensionnat pour jeune fille. Alors qu'elle traverse la Transylvanie, son cocher l'abandonne dans un village, où elle trouve refuge dans une auberge. Malgré les mises en garde du propriétaire des lieux, elle accepte l'invitation de la baronne Meinster à passer la nuit dans son château. Heureusement pour elle, le docteur Van Helsing poursuit dans la région sa chasse aux vampires.

Le Cauchemar de Dracula de Terence Fisher (1958) avait été un immense succès commercial et critique, entérinant le virage vers l’épouvante gothique de la Hammer après Frankenstein s’est échappé du même Terence Fisher (1957). Une suite est donc envisagée avec un premier script de Jimmy Sangster qui curieusement choisit de s’éloigner de certains préceptes du film initial. Le méchant est supposé être un disciple de Dracula (qui disparu dans le premier film n’est supposé faire qu’une apparition sous forme de spectre) tandis que sa traque se fera par un nouveau protagoniste, et plus le professeur Van Helsing. Au fil des réécritures certains éléments se remettent en place comme la présence de Van Helsing de nouveau interprété par Peter Cushing, mais Christopher Lee, par réticence de ce dernier ou par choix de la production, ne rempile pas – il fera son retour dans le rôle et dirigé par Fisher dans Dracula, Prince des ténèbres (1966). Plusieurs idées, trop complexes techniquement ou inappropriées dans le ton voulu sur cette suite, seront recyclées pour Le Baiser du vampire de Don Sharp (1963) – notamment l’attaque finale par une horde de chauve-souris.

Le Cauchemar de Dracula avait marqué une rupture avec l’imagerie des films Universal dont le Dracula de Tod Browning (1931). La théâtralité de l’incarnation du vampire par Bela Lugosi en faisait une figure spectrale et aristocratique dans une imagerie expressionniste noir et blanc. Christopher Lee amenait quant à lui une dualité en le port séduisant de la facette lumineuse de Dracula, s’opposant à une animalité plus glaçante renforcé par l’usage de la couleur renforçant la dimension baroque et sanglante du vampire et du gothique Hammer. 

Cette dualité se poursuit dans Les Maîtresses de Dracula mais contamine des aspects plus vastes de la personnalité du vampire. L’ombre de l’inceste plane sur la relation torturée entre le Baron Meinstein (David Peel) et sa mère (Martita Hunt). Cette dernière nourrit les pulsions de son fils en lui fournissant des jeunes filles innocentes dont il se repait, tout en étant séquestré dans la demeure familiale. Son évasion le conduira à « consommer » sa propre mère, ultime sacrilège, avant de prendre sa liberté. 

Les traits carnassiers de Christopher Lee laissent place à ceux plus poupins et juvéniles d’un David Peel certes moins charismatique, mais dont les revirements de personnalités s’avèrent saisissant. Jeune homme fragile et torturé, amoureux transi, châtelain charismatique, le Baron Meinstein semble se plaire à endosser plusieurs masques avant de laisser éclater son visage véritable, celui du vampire particulièrement bestial et sadique. Terence Fisher se plaît à capturer ces bascules dans la caractérisation du personnage, et semble avoir joué du vrai « masque » de David Peel qui à la ville était homosexuel. Le décorum gothique est une nouvelle fois superbe, notamment lorsque Fisher en parallèle des figures imposées orchestre des séquences tout simplement glaçantes. La sortie de terre d’une jeune femme vampirisée est filmée comme un accouchement dans un lent crescendo macabre se concluant par la sortie de terre d’une main avec une puissance macabre rare.

La sensualité brûlante des assauts de Meinstein sur les jeunes femmes se dispute à une sorte de candeur ramenant davantage au gothique littéraire avec le personnage de Marianne (Yvonne Monlaur), archétype de la jeune fille naïve et en détresse. Comme le souligne le spécialiste Nicolas Stanzick dans les suppléments du dvd, elle semble jouer dans un conte de fée (la demande en mariage si vite acceptée de ce prince charmant douteux) sans savoir qu’elle se trouve en fait dans un conte macabre. Le socle et l’unité de cet ensemble repose sur Van Helsing une nouvelle fois brillamment interprété par Peter Cushing. 

Il possède à la fois ce côté froid, croyant et rationnel face au surnaturel auxquels s’ajoutent une humanité profonde. Son empathie envers Marianne n’a d’égal que sa détermination face aux vampires, qui culmine lorsqu’il doit lui-même se purger d’un possible risque de vampirisme. Fisher sait composer quelques images iconiques en diable pour conférer toute la grandiloquence attendue de l’affrontement, notamment cette ombre de moulin formant la croix chrétienne qui achèvera le Mal. Un opus réussi qui fait (presque) oublier l’absence de Christopher Lee.

Sorti en bluray français chez Elephant Film